Il s'agît de concrétiser un modèle de résidence pour vivre et vieillir dans un projet fraternel et spirituel. Dans une résidence limitée à une vingtaine d'appartements, située dans un cadre vert et reposant, le « béguinage » propose une alternative aux maisons de retraite. 90 % des Français souhaiteraient vivre, vieillir et mourir chez eux, quitte à adapter leur logement, plutôt que d'intégrer une maison de retraite (source OpinionWay, mars 2012, pour l’Observatoire de l’intérêt général). Néanmoins, ils sont parfois contraints de rejoindre un établissement spécialisé, un hôpital, car leur santé ne leur permet plus de vivre seuls. Le « béguinage » peut permettre de prolonger ce temps d'habitat chez soi. L'entraide, la veille les uns sur les autres, et les évidents bienfaits de l'amitié sur la santé permettront aux résidents de demeurer à la maison plus longtemps, même hospitalisés à domicile.
Au XIIIe siècle, dans les pays du Nord de l'Europe, la naissance des béguinages résulte d'un concours de circonstances économiques, sociales, politiques et religieuses. Développement des universités et déclin de l'emprise féodale favorisent l'affranchissement des esprits. Les nouveaux ordres religieux suscitent un formidable mouvement de ferveur. La succession des croisades a laissé de nombreuses veuves. Certaines aspirent à mener une vie pieuse et contemplative, tout en conservant leur autonomie. Elles souhaitent «exister en n'étant ni épouses, ni moniales, affranchies de toute domination masculine » (Régine Pernoud, La Vierge et les Saints du Moyen Âgé). Pour elles, est inventée une nouvelle forme d'habitation. Si l'on consulte l'encyclopédie en ligne Wikipedia, on se remémore vite de quoi il s'agit :« Les béguinages » (begijnhof en néerlandais), sont des lieux dans lesquels vivent des béguines. Leur logement est généralement constitué d'une ou deux rangées de petites maisons reliées par des coursives et d'une église, le tout habituellement réuni autour d'une cour où se trouve un jardin. [...] On les retrouve particulièrement en Flandre et aux Pays-Bas. [...] Les temps ont changé et pourtant se ressemblent. Les femmes veuves ou célibataires n'ont plus besoin de grilles pour se protéger. Mais les dangers de notre époque menacent bien plus notre âme que notre corps. L'éclatement des structures familiales, l'érosion de la foi en Europe, la disparition de l'amitié de proximité, de la vie de village, de quartier, façonne, spécialement pour les personnes âgées, une société de solitude. Sentiment d'inutilité, d'exclusion, absence de perspectives, dévalorisation de soi... le déclin physique naturel s'accompagne souvent d'une grande souffrance morale. Tous les professionnels de la santé des seniors le confirment, celle-ci marque presque toujours le début d'une descente douloureuse et inexorable vers la dépendance et la fin.
Mais la nature humaine finit toujours par rechercher son centre. De toutes parts se lèvent des personnes désireuses de « rester vivantes tant qu'elles sont en vie ». Habitat groupé, services partagés, villages communautaires et... « béguinages », Internet regorge de ces projets. Là aussi cela vaut le coup de regarder la rubrique « Béguinages modernes » de Wikipedia : « Le béguinage désigne également aujourd'hui un mode de vie collectif pour les seniors, pratiqué essentiellement (compte tenu de l'Histoire) dans le Nord de la France. Sans forcément revendiquer une appartenance spirituelle, la formule entend cultiver des valeurs de proximité et de fraternité en vue de maintenir le lien social et offrir une alternative à l'isolement pouvant être ressenti en maison de retraite ou dans les foyers. [...]»
La plupart de ces projets peinent cependant à voir le jour faute de compétences et de moyens. Mais tous témoignent d'une immense soif de vie, et de « Vie en abondance ». Dans les années qui viennent, des dizaines de « béguinages » vont voir le jour, portés par un esprit solidaire, et désireux de rester aux commandes de sa vie.
Aujourd'hui le béguinage est une solution pour envisager autrement sa vie de retraité, en faisant place à l'amitié — jusque et surtout dans la maladie - place à la décision et à l'autogestion. Tous ingrédients indispensables au « bien vieillir ».
Dès la conception de ce genre d'habitation, certaines options permettent de faire de substantielles économies sur les loyers et charges, grâce entre autres aux performances énergétiques nouvelle génération. De la même façon, les frais d'abonnements Internet, téléphone, eau, électricité, outils de bricolage ou de jardin, sont mutualisés.
Mais au-delà de ces considérations économiques, veiller les uns sur les autres, s'entraider, faire les courses pour celui qui est malade ou temporairement handicapé, c'est entrer dans une vraie vie fraternelle, faite de service et d'attention. Cette dimension solidaire, autrefois évidente dans nos vies de quartiers et de villages...
L'organisation du béguinage est avant tout portée par le projet des personnes qui y résident, et qui décident ce qu'elles souhaitent y vivre. Chacun habite « chez soi », afin de rester autonome, et peut y rester autant qu'il le décide. Mais cette vie « ensemble » permet beaucoup plus facilement d'être soigné ou hospitalisé à domicile, grâce à la « veille fraternelle », qui fait le lien entre le personnel soignant et la personne souffrante.
Lieu privilégié de socialisation, le béguinage favorise un double mouvement d'ouverture et de contact. Tournés vers les réalités environnantes, associations de quartier, paroisse, écoles, les résidents continuent de s'investir à leur rythme dans les activités et les services qui les motivent. Réciproquement, le béguinage est un lieu d'accueil, qui facilite la rencontre, les réunions amicales, l'organisation de conférences...
Mais il ne suffit pas de décréter que nous allons être solidaires pour le devenir vraiment. Notre intuition est que la foi chrétienne, porteuse dans ses gènes de cette dimension de service de l'autre, rend bien plus facile cette attention. C'est ce qui fait la pérennité des monastères, et leur différence par rapport aux projets « communautaires » de tout bord. C'est pour cela que nous croyons aux vertus du béguinage véritablement chrétien.
Nos organisations catholiques, diocèses, congrégations religieuses, se voient de plus en plus souvent contraintes de se séparer de leurs bâtiments, trop vastes, trop coûteux, inoccupés. La reconversion de ces bâtiments peut poser problème. Le béguinage offre une alternative séduisante, qui permet de garder une finalité catholique à ces lieux. Comme en témoigne Frédéric Rebaudo, ex-économe diocésain à Perpignan : « Depuis plusieurs années, l'ancien couvent des Capucins de la paroisse Saint-François à Perpignan nécessitait de très lourds travaux de réhabilitation, que nous ne pouvions assumer. C'est avec joie et soulagement que nous voyons s'y installer le « béguinage » proposé par M. Prédignac, qui préserve la vocation originelle et le sens de ce lieu de prière ».
Le béguinage est un mode de vie qui s'adresse à tous. Il n'y a pas de limite d'âge, dans un sens comme dans l'autre! Notons toutefois que les questions de solitude, d'isolement, d'exclusion touchent majoritairement les seniors, qui sont donc plus concernés que les générations plus jeunes, qui jouissent d'une vie sociale et/ou familiale plus dense.
Le béguinage est un ensemble d'appartements où l'on vit « chez soi ». Donc, comme chez soi. Toutefois, les appartements sont conçus pour accueillir des personnes handicapées. Les services hospitaliers de HAD (hospitalisation à domicile) voient d'un œil favorable cette solution où l'on veillera les uns sur les autres.
Le béguinage veut être accessible aux classes dites « moyennes », ni « très aidées », ni « très aisées ». Les prix des appartements, à l'achat comme à la location, veulent être le plus proche des prix « de marché ». Un léger écart, de 10 à 15 % est perceptible, dû à la réalisation de parties communes (environ 100 m2, répartis entre foyer, hôtellerie et oratoire) et d'un environnement de qualité, jardin, cloître... Le nombre des appartements est volontairement limité à 20 pour ne pas saturer l'espace.»
Grégoire Coustenoble
(France Catholique, n° 3388, 28 février 2014, 8-10)
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